La jeune elfe s’essuya le nez du revers de la manche et fit une grimace de dégoût au contact du cuir boueux. Elle se pencha vers le cadavre. Un humain. L’étoffe moisie sur le cadavre en décomposition, encore d’un rouge assez vif, trahissait son rang. « Voyons voir ce qu’il vous reste dans les poches messire ». Elle fouilla le corps, quelques pièces de cuivre.
Elle sursauta. Elle l’avait sentie avant de la voir : un autre goule avait surgit dans son dos. Elle laissa l’esprit la panthère prendre possession de son être et lacéra son assaillante. Faisant volte face, elle réalisa alors son erreur, il n’y en avait pas qu’une et à trois contre un, c’était la mort assurée. Reprenant forme elfique elle bondit vers les grille du cimetière.
Elle couru jusqu’au Darkshire et ne s’arrêta que lorsqu’elle était devant l’auberge la main sur le mur, la tête baissée, à bout de souffle et au bord de la nausée. Reprenant une respiration normale peu à peu elle pénétra dans la salle commune et en glissant une pièce d’argent à la fille d’auberge, demanda si il était possible d’avoir un baquet d’eau chaude dans sa chambre. La jeune fille hocha la tête et se dirigea vers le premier.
La jeune druidesse s’assit au coin du feu. Il y avait toujours un peu de monde dans cette taverne, pourtant les gens restaient silencieux, comme rendus muets, incapables de décrire ce qu’ils avaient vu ou ce qu’ils avaient vécu. Elle échangeait des mouvements de tête brefs avec les autres rares elfes, mais jamais de conversation, comme si il était tacite qu’ils n’étaient pas là, qu’ils étaient tous restés à Darnassus et qu’ils n’avaient jamais mis les pieds dans cet endroit maudit.
Un claquement sec. Le bruit d’un volet contre le mur. Le vent s’était levé et elle entendit le tonnerre gronder. Elle jeta un coup d’œil vers la fenêtre, rendue opaque par la crasse. La lumière tremblante de lointains éclairs. Elle entendit le chien de l’aubergiste gémir. « Et c’est les éclairs qui te font peur mon gros... », elle eut un petit rire sarcastique et se leva pour monter dans sa chambre.
Le bain était prêt et elle remercia la jeune femme qui sortait de sa chambre. Elle s’extirpa péniblement de son armure et se glissa dans le baquet d’eau chaude. Au contact de l’eau elle sentit une vive douleur, une brûlure piquante à chaque endroit où elle avait été griffée, mordue, tailladée. Elle se mordit la lèvre avec un léger sourire. Puis lentement la douleur s’apaisa, ses muscles se décontractèrent.
Elle reposa sa tête en arrière. Elle pouvait entendre le bruit de la pluie sur le toit. Elle ferma les yeux. Elle pouvait voir son île balayée par les embruns. Quand elle était gamine elle restait sous le grand arbre de Feathermoon, les yeux vers ses frondaisons et la bouche ouverte pour gober des gouttes de pluie grosses comme des framboises. Ca le faisait rire à lui. Bien sûr, personne ne la croyait. Et puis elle en avait entendu d’autres, lointains, comme celui qui trônait au milieu d’un désert qu’elle n’avait même pas eu l’audace d’imaginer.
Puis il y avait eu celui là. Celui que se mourrait comme la terre qui l’entourait. La corruption s’infiltrant au plus profond de jour en jour, ses racines incapables de s’abreuver à une source d’eau pure. Elle bougea un peu pour sentir l’eau glisser sur sa peau. La corruption dans cet endroit était trop avancée : si elle décidait de suivre son cœur, quand pourrait-elle revoir les cascades de Feralas ?
Elle sentit sa gorge se nouer et réprimant un sanglot, se leva brusquement. L’air de la pièce était irrespirable à cause des vapeurs du bain. Elle se dirigea vers la fenêtre et tenta de l’ouvrir. Coincée... Elle suffoquait. Elle enfila une robe à la hâte et se précipita hors de sa chambre, dévala les escaliers et couru vers la porte. Enfin, de l’air. Il ne pleuvait plus. Le ciel était dégagé et elle pouvait voir quelques étoiles. C’était si rare ici ! Elle remarqua un humain en armure de maille qui la dévisageait. Elle ria de bon cœur. Elle ne devait pas avoir l’air très mondaine, les cheveux mouillés, la robe trempée collée au corps, au milieu de la place du village.
Puis elle vit un elfe courir vers la maison des Carevin. Puis un autre. Puis deux autres, des femmes, plus posées. Elle ouvrit la bouche pour les appeler mais la referma aussi tôt. Que faisaient autant de ses semblables à cet endroit ? Elle frissonna un peu, l’air frais lui rappelant sa robe mouillée. S’emmitouflant dans sa peau de panthère elle si dirigea vers la maison. Elle entendit un elfe s’exclamer « Tout le monde est là ! ». Puis un humain « Bonjour Mornaglar. »
S’approchant plus près elle se fondit dans les ombres. Son ouïe de panthère lui permettait de rester dehors mais d’entendre tout ce qu’il se passait à l’intérieur. Elle s’assit et dressa l’oreille. Ils se présentaient les uns aux autres, certains, elfes, d’autres, humains. Il s’agissait de deux ordres, l’un nommé « Nature Rédemptrice » et l’autre « Renaissance ». Sûrement des groupes de mercenaires, réunis pour former une alliance.
Elle se dressa sur ses pattes, prête à quitter sa cachette quand elle entendit une elfe demander d’un ton légèrement ironique « Mais... c’est quoi la Nature Rédemptrice ? ». Elle se figea, piquée par la même curiosité. Un humain répondit d’un ton assez sec « Enrayer le Fléau et rétablir le Grand Cycle ». L’elfe, qu’elle avait plus tôt identifié comme étant un certain Mornaglar, se racla la gorge et annonça qu’il allait leur raconter une histoire. La panthère reposa son arrière train sur l’herbe mouillée et laissa glisser ses pattes en avant.
L’histoire commence à Auberdine. La corruption galopante dépasse les sentinelles qui décident de faire appel à des renforts, mâles, venus de Darnassus. Mornaglar et son compagnon Ernilthrin en font partie. Un jour Mornaglar est affecté à une mission de reconnaissance vers un village furbolg. Il se rend sur place et s’approche du village faisant preuve de discrétion. Pourtant, alors qu’il est au plus près, un bout de bois mort craque sous ses pieds, alertant tout le village. l est alors submergé par la furie de furbolg et il voit venir la fin de son éternité telle que l’avait annoncé ses semblables. Pourtant il a survécu. Un esprit l’a sauvé. Un esprit de la nature appelé Maeg qui en échange de sa vie lui a demandé de créer cet ordre, la Nature Rédemptrice, afin de réunir tous ceux qui ont un cœur ouvert à la nature.
Le brouillard s’était à nouveau levé et la panthère étira ses muscles frigorifiés. Une humaine posa une question, une histoire de portail. Puis ils commencèrent tous à parler de Titans et de créateurs de monde. La panthère décida d’endurer le froid un peu plus longtemps, comme incapable de se détacher de ces autres mondes, car chaque histoire est un autre monde et chaque monde a son histoire.
Une humaine, qui se faisait appeler Callirhoé, commença à décrire son monde et sa propre histoire et... « Un grand danger menace le Darkshire ! ». La panthère sursauta. Un veilleur s’époumonait, se dirigeant vers l’ouest. La panthère leva la truffe, humant le vent. Le veilleur était déjà loin mais elle l’entendait encore crier. En tournant la tête vers la droite elle remarqua l’agitation des veilleurs restés en poste au village. Une patrouille se formait.
Oubliant ce qu’il se passait dans la maison derrière elle, elle s’élança sur les pavés. L’adrénaline la faisait trembler, ça réchauffait. Elle était en alerte. Elle la sentait, sa cible, droit devant. Les cris du veilleur s’étaient tus mais la forêt criait plus fort. Tout à coup, déchirant la brume, il était devant elle. Elle s’arrêta net, dérapant sur les pavés mouillés. Il était gigantesque, hideux. La patrouille la dépassa et se lança à l’assaut. Le premier veilleur fut balayé du revers d’un bras gros comme un tronc d’arbre. La panthère se coucha, grondant. Les cris étaient assourdissants, ils la clouaient du le sol. Elle n’en pouvait plus. Se lançant avant pour faire taire le vacarme dans sa tête elle se jeta sur l’horreur et planta ses griffes dans la chair morte.