Je suis né à Ambermill deux ans après la fin de la Grande Guerre. Mon père était fermier et ma mère femme au foyer. Tandis que mon père passait sa journée au champ, ma mère s’occupait de moi et de mes 3 petits frères. J’ai oublié leurs noms. C’est vraiment affreux, j’ai honte de moi.
Silverpine était alors plutôt prospère, les batailles avaient relativement épargné cette région, bien que Dalaran ait été active dans la lutte contre la Horde durant les deux guerres.
J’ai grandi dans les forêts et les plantations de Silverpine. C’était le bon temps. Il n’y avait pas de Murlocs sur les berges, pas d’ours corrompus dans la forêt, pas de mort-vivants dans les champs… Les routes étaient sûres et on pouvait souvent voir des habitants de la Citadelle Violette et de Lordaeron passer par notre village. Je me souviens que le dimanche nous faisions le marché à Pyrewood et on pouvait alors croiser des badauds riches et connus comme l’ancien Duc de Pyrewood (dont le château abrite désormais l’ancien Archimage Arugal, mis à l’index par le Kirin Tor il y a bien des années).
Dalaran m’avait toujours semblée lointaine. Pour moi il n’y avait pas d’autre avenir que les champs que mon père cultivait, comme l’avait fait avant lui son père, le père de ce dernier et ainsi de suite sur plusieurs siècles.
Mais la Citadelle Violette, ses Mages et tous les mystères qui entouraient ce monde inaccessible me fascinaient. Il m’arrivait souvent de me dérober à mes tâches quotidiennes pour espionner de loin les hautes tours effilées, aussi belles que gracieuses, s’élançant vers les cieux sans jamais réussir à toucher la voûte céleste.
Si je suis ici aujourd’hui, c’est en partie grâce à mes vagabondages. Comme souvent, j’étais en pleine observation de Dalaran depuis l’île de Fenris sur le lac Lordamere, en attendant la caravane marchande faisant la route Tarren Mill-Brill tous les mois afin de lui acheter une petite confiserie et prendre des nouvelles de la Cité des Mages. J’essayais de percer les formes des tours élancées dans le lointain quand quelqu’un s’approcha derrière moi sans un bruit et cassa brusquement ma concentration. « Que fais-tu ici ? »
La voix qui avait grondé était autoritaire et forçait le respect. Je faillis m’évanouir en voyant qu’il s’agissait d’un Mage de Dalaran, l’un de mes héros secrets.
J’avais toutes les peines du monde à réfléchir correctement. C’est en bredouillant que je parvins à lâcher un faible « J’attends quelqu’un... » après une bonne minute d’hésitation.
Je me souviens que le Mage m’avait dévisagé longuement. La surprise du début s’était vite transformée en gêne puis en mal-aise. Je devais avoir 6 ans. Si je n’avais pas eu un tant soit peu de courage culotté, j’aurai mouillé mes pantalons comme les autres enfants de mon âge. Alors que je me demandais à quelle sauce le Mage allait me dévorer (j’avais imaginé 3 recettes différentes déjà), il reprit la parole.
« Tu n’es pas de la Citadelle ni de Lordaeron. Tu dois être un paysan… Comme c’est curieux. D’habitude ce sont les gens régulièrement en contact avec Lui qui y sont sensibles… Mais tu ne comprends pas un mot de ce que je dis, n’est-ce pas ? »
Je fis non de la tête à toute vitesse, entraînant un léger tournis que je réprimais du mieux que je pus.
« Ca te dit de venir ici ? » dit-il en désigant Dalaran au loin, qui m’apparut alors comme par enchantement plus clairement dans les brumes du lointain. J’étais hébété, j’avais du mal à mettre de l’ordre dans mes pensées. Le Mage m’invitait à Dalaran ? Je fixais la Citadelle, le regard vague.
« Non bien sûr, tu ne peux pas décider seul. Montre-moi ta chaumière. »
Hésitant, j’ouvris le chemin et menais le Mage chez moi. Obnubilé par le chemin et la présence imposante du Mage derrière moi, j’oubliais complètement la caravane bimensuelle menée par un Gnome excentrique qui prétendait aimer voyager. Quelle histoire ça ferait à raconter aux autres ! Mais je n’eu jamais l’occasion de le faire. Lorsque nous arrivâmes chez moi, le Mage s’entretint avec mes parents qui semblaient encore plus héberlués que moi. Au bout d’un moment j’abandonnais l’idée de comprendre ce que les adultes se racontaient. J’étais fatigué. Je finis d’ailleurs par m’endormir.
Lorsque je me réveillais le lendemain matin, le Mage était parti. Mon père vint me trouver, il avait l’air grave. Enfin, je ne me souviens plus de son visage, mais je me souviens bien que je ne l’avais jamais vu aussi sérieux et accablé. Je crus au début que le Mage avait puni ma famille à cause de mes promenades buissonnières.
« Pardonne-moi papa, je n’irais plus voir la Caravane, c’est promis ! Je t’aiderai au champ, d’accord ? »
J’attendais avec angoisse que ses mains comme des battoirs viennent s’imprimer sur la peau tendre de mon jeune derrière. Je méritais une punition, mais je l’appréhendais quand même.
Au lieu de quoi, et à ma plus grande surprise, mon père me sourit et me tendit un baluchon.
« Un bel avenir t’attend mon fils. Jamais tu n’auras à t’user le dos dans les champs. Je suis heureux que tu puisses avoir une vie à toi… »
Une larme coula de sa joue. J’ai longtemps cru qu’il était triste que je parte, mais j’ai réalisé plus tard que c’était la fierté qui lui avait arraché une larme d’émotion.
« Ce Mage va se charger de ton éducation. Tu vas devenir quelqu’un de grand ! »
Pour un enfant de 6 ans, tout cela paraissait surréaliste. Je n’étais pas sûr de comprendre ce qui se tramait autour de moi. Les enfants sont bien souvent le jouet des adultes, sans que l’un ou l’autre ne s’en rende réellement compte.
Je me souviens que ma mère pleurait. Mes frères dormaient, je pouvais juste deviner leurs petites têtes reposées sur le grand oreiller.
Suivant les consignes de mon père, je pris mon baluchon (qui contenait le peu d’affaires que j’avais) et suivit la route menant à Dalaran.
C’était un long chemin mais je l’avais souvent fait, aussi c’est presque machinalement que j’avançais. J’étais confus pendant un long moment. Puis je parvins à retrouver un peu de lucidité et je compris alors que plus jamais je ne reverrais papa, maman et mes petits frères. Le Mage de la veille voulait que j’aille à Dalaran. J’ignorais pourquoi, mais mes parents le voulaient aussi, bien que cela les fasse pleurer.
Je sentis alors une angoisse monter en moi. Je m’assis au bord de la route et me mit à pleurer. Je me sentais abandonné. Savoir que plus jamais je ne verrais mes parents me terrifiait autant que le fait d’entrer dans un monde totalement inconnu peuplé de vieux barbus au regard sévère, mais ô combien admirables et mystérieux.
Je dus rester plusieurs heures assis dans la terre, à contempler mes pieds. Si je rentrais à la maison papa me gronderait et le Mage nous jeterait un mauvais sort. Je ne pouvais qu’aller vers Dalaran, ne serait-ce que pour que mes parents n’aient pas de problèmes à cause de moi.
Je me levai péniblement et me remis en route.
J’arrivai aux portes de la Citadelle Violette un jour plus tard à la tombée de la nuit. J’étais exténué. Cependant, les centaines de lumières qui brillaient, illuminant les bâtiments et les rues, me firent provisoirement oublier ma détresse physique. Je connaissais la ville de loin, mais être à l’intérieur était une toute autre chose. Moi qui étais habitué à la misère et la saleté d’une vie de paysan, j’étais confronté à plus de splendeur et de richesse que jamais mon jeune esprit n’aurait pu imaginer. J’étais en pleine admiration devant la cité.
Je me souviens alors qu’un des gardes de la porte m’approcha et tenta de me faire partir. J’eus toutes les peines du monde à le convaincre qu’on m’attendait. Par chance, le Mage avait du prévoir cela car il avait laissé à mon intention un papier qui me permit d’éviter de rester en-dehors de la ville. Le garde finit par me laisser entrer à contre-cœur dans la cité.
A l’intérieur des murs, j’allais de ravissements en ravissements. Merveilles, magie, beauté… Et les Elfes ! C’était la première fois que j’en voyais. Ce qu’ils étaient magnifiques ! J’étais dans un vrai conte de fée. C’était donc là que vivaient mes héros ! Je me sentais petit et misérable face à toute cette splendeur. Pire que ça, mon estomac grondait et je n’avais absolument aucune idée de la direction à suivre. Sans compter que je n’avais pas un sou et que toutes mes provisions étaient parties durant le long voyage.
Je ne sais plus trop comment, mais je sais que je parvins à retrouver le Mage. Voir un visage déjà connu parmi la masse d’inconnus me réconforta quelque peu.
Je me souviens m’être plaint d’avoir faim. Le Mage fit apparaître du pain par magie et je l’avala goulument. Puis le Mage me fit passer des tests. Ce que je fis avec entrain car je lui étais reconnaissant d’avoir repu mon jeune ventre. J’appris plus tard, beaucoup plus tard, que ces tests étaient destinés à évaluer le potentiel arcanique des individus. De toute évidence le Mage avait senti lors de notre première rencontre que je possèdais le potentiel pour devenir Mage. Les tests le lui confirmèrent, en tout cas il avait l’air satisfait.
Quelqu’un me montra une chambre et je sombrai dans le sommeil en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
C’est ainsi que commença ma longue initiation à la magie et aux lettres. On m’apprit à lire et à écrire en Commun ainsi que dans une demi-douzaine de dialectes magiques. On m’enseigna plusieurs disciplines, comme les mathématiques, la chimie, la physique, les arcanes, les runes, l’histoire, l’astronomie, la zoologie... J’eus de nombreux professeurs et le plus souvent j’étais dans un groupe composé de plusieurs Apprentis comme moi. En quelques années j’avais complètement oublié ma famille. Dalaran était devenu mon chez moi et les Mages du Kirin Tor étaient ma famille. J’eus des peines, des joies, je passai de bons moments, d’autres moins enviables… Ma vie était rythmée par les Arcanes. Le Mana faisait partie intégrante de ma vie. Le contrôler était jouissif. Je montrais d’ailleurs de bonne aptitudes à le manier.
12 ans passèrent et je fus abilité à devenir Compagnon. C’est à dire qu’après ma formation d’Apprenti, j’allais enfin pouvoir apprendre sur le terrain avec un Maître Mage qui superviserait toute ma formation jusqu’à ce que je sois jugé digne de devenir moi-même Mage.
J’appris très vite à son contact. La chose était d’autant plus aisée qu’il s’agissait du Mage m’ayant découvert et offert l’immense privilège de maîtriser les Arcanes. Son nom était Conjurus Rex et c’était un Archimage très respecté par ses pairs. Il avait enseigné à des figures célèbres du monde magique comme Jaina Proudmore, Kael’thas Sunrider et une poignée d’autres tous morts aujourd’hui.
Cependant, je ne pus jamais finir ma formation. Le sort en avait décidé autrement.
Alors que j’avais 18 ans, les armées du Chevalier de la Mort Arthas dévastèrent Lordaeron. Leur progression dans les terres plus au sud avaient été meurtrières. C’est avec une profonde tristesse que j’appris le massacre de la population d’Ambermill. J’en conçu une colère sourde qui gronda au fond de moi sans jamais effleurer la surface. Le contrôle de soi est l’une des premières choses que l’on nous apprend. Que l’on nous apprenait.
Il arriva un moment où les armées d’Arthas attaquèrent directement Dalaran. Je ne me souviens plus trop pourquoi, mais la raison importe peu aujourd’hui. Ce qui était sûr c’est que pour rien au monde on ne l’aurait laissé entrer.
Mon Maître et d’autres Archimages dressèrent des barrières de protection magique qui devaient empêcher les armées mortes-vivantes de pénètrer dans notre enceinte. Ce qui marcha à merveille. Tous les monstres qui entrèrent dans le champs mourraient en quelques minutes.
Mais c’était sans compter sur la détermination d’Arthas. La moitié de ses troupes fut éliminée mais la masse grouillante et rampante qu’elle formait finit par venir à bout de nos défenses. Mon Maître fut le premier à tomber. Je n’étais pas là pour le voir, car tous les apprentis avaient été placés à l’abri au cœur même de la citadelle. Mais je ressentis sa mort. Lorsque j’entendis que le premier rempart de défense avait été abattu, j’eu immédiatement confirmation de ce qui s’était passé.
Mes sentiments à ce moment étaient trop chaotiques pour que je puisse les décrire même aujourd’hui. Colère, tristesse, peur, désespoir, haine, frustration… Je n’étais pas le seul, je sais. Mais j’étais accablé. Mon contrôle mental vola en morceaux, mettant à bas des années d’entraînement à la maîtrise des sentiments. Il me fallut un temps fou pour reprendre le contrôle sur moi-même et éviter de sombrer dans une folie destructrice qui m’aurait conduit à la mort.
Puis la nouvelle de la chute de Shal Lightbinder nous parvint. Désormais c’était la panique chez tous sans exception. Même les vieux Mages étaient inquiets.
Et enfin la pire de toutes les nouvelles tomba : Antonidas, le grand Antonidas, avait été tué. Impossible ! La nouvelle sema l’effroi et ce fut le chaos aussi bien dans la citadelle qu’à l’extérieur. Les troupes envahirent la citadelle plus vite que la marée montante. Elles détruisirent tout ce qui se trouvait dans leur chemin, tuant hommes femmes et enfants.
De nombreux novices coururent à l’extérieur pour leur tenir tête et furent massacrés par les Goules. En ce qui me concernait, je savais que j’avais et que j’allais à nouveau perdre des êtres chers. Mais je ne tenais pas à mourir pour autant. Toutes les fibres de mon être m’hurlait de me porter en avant vers le combat et d’entraîner un maximum d’assaillants dans la mort. Mais d’un autre côté, une petite voix lucide me conseillait de fuir afin de connaître d’autres batailles plus glorieuses. Je parvins à rassembler quelques survivants et nous prîmes la fuite par les réseaux souterrains.
Un immense fracas prolongé au-dessus de nos tête et l’effondrement de la galerie derrière nous nous apprit une chose : Dalaran était tombée pour de bon. La Citadelle Violette avait été détruite. L’Ere du Kirin Tor était révolue. L’Ordre de la Mort avait pris le dessus. Le peu que nous étions devrait alors vivre caché et fuir les légions de la Mort.
Nous émergeâmes à la lumière du jour et nous pûmes contempler le cataclysme de loin. C’était le pire jour de mon existence. Ce qui est assez ironique puisque c’est là que j’avais vécu le plus beau jour de ma vie. Dalaran avait été toute ma vie pendant 12 années. Je ne pouvais pas croire que tout était fini comme ça. Surtout aussi facilement.
En l’espace de quelques jours j’avais perdu ma famille natale (décimée par des armées de squelettes guerriers comme le reste de la population d’Ambermill), ma famille d’adoption et mon foyer.
A quelques kilomètres de l’immense nuage de poussière qui fut autrefois le fleuron de la Magie se tenait un humanoide gigantesque à la peau grise et à l’allure démoniaque. Et pour cause ! Il s’agissait d’Archimonde, le chef de la Légion, qui venait de raser Dalaran d’une main et se repaissait de ce spectacle funeste. Je fis alors le vœu de détruire le Mal sous toute ses formes. Non pas par vengeance, notre code déontologique nous le déconseille fortement. Mais pour qu’un tel massacre ne se reproduise plus jamais.