Ashenvale, un mois auparavant.
Elle dénoua le fil de soie qui fermait la boite en forme de cylindre, avec une délicatesse toute particulière. Lorsqu'elle l'ouvrit et en sortit l'instrument, elle resta longtemps à le contempler dans sa main. Depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu, avant de l'enfermer, l'Ebène dans lequel était taillée la flûte s'était fissuré, usé par le temps. Elle cligna des paupières, penchant légèrement la tête en souriant puis porta le bec à ses lèvres.
Le son, étrange et frêle, ne ressemblait pas vraiment à de la musique, mais qu'importe... la prêtresse cherchait dans sa mémoire les notes de cette chanson qu'elle aimait... bien avant, bien avant que la guerre lui vole son innocence. Ses doigts glissaient le long de l'instrument, libérant ou fermant les orifices pour en faire varier l'air. Le vent semblait se mêler à ce concert inhabituel, et jouait dans les longs cheveux bleus de la musicienne, faisant teinter les boucles ornant ses oreilles dressées vers le ciel. Elle avait l'impression de voler. Elle laissa son esprit divaguer, loin d'ici, lorsque les elfes chantaient encore dans les temples, lorsque leurs voix résonnaient encore sur les murs de pierre, musique douce et troublante d'une époque révolue.
Ce fut un sentiment plus qu'un bruit qui la tira de sa rêverie. Un sensation étrange et brutale de danger. Le coeur battant la chamade, elle cessa de jouer et restait sans bouger, les sens en alerte. Se forçant au calme, elle fit mine de s'étirer pour lancer un coup d'oeil aux alentours, la main serrée sur sa flûte. Rien. Elle avait pourtant la désagréable impression d'être épiée. Par qui ou par quoi ? Quelqu'un ou quelque chose était tapi là, dans les sous-bois. Elle se leva, tremblante. Des langues d'ombre vinrent peu à peu s'emparer de son corps jusqu'à en éteindre complètement la substance. La flûte tomba sur l'épais tapi de mousse, dans un bruit sourd. Elle regarda ses mains. Mornaglar n'aimait pas le picotement froid infligé par ce corps ainsi transformé lorsque ses mains à elle venaient le traverser.
Un bruit sourd la ramena à la réalité. Scrutant l'obscurité, elle avança avec prudence dans le bois, jusqu'à atteindre un endroit où la lumière mourrait sous les branches. Les arbres formaient une sorte d'arche, juste assez haute pour permettre le passage d'un elfe courbé en deux. Jettant un regard derrière elle pour s'assurer de ne pas être suivie, elle se baissa et avança jusqu'à ce que les ténèbres l'engloutissent. Nerveuse, elle s'obligeait à poser un pied devant l'autre. Plongée dans le noir, et malgré l'acuité visuelle propre à sa race, elle était incapable de distinguer ce qui l'entourait. Elle progressait lentement, tâtonnant l'écorce et les branchages.
Elle poussa un petit cri de surprise lorsque son pied buta sur une pierre, avant de chuter brutalement sur le sol. Sa tête percuta la racine d'un arbre vieillissant, et lui vola à demi sa conscience. Son regard chercha à accrocher une parcelle de lumière pour se repérer, sans succès. Gémissante, elle cherchait à se relever lorsqu'une douleur, vive et fulgurante, traversa ses entrailles, la clouant au sol. Pourtant, elle ne cria pas d'avantage. Le même déchirement se répéta, encore et encore, jusqu'à la faire glisser dans la nuit. Avant qu'elle ne ferme complètement les yeux, une oreille collée à ses lèvres aurait pu entendre un murmure :
"Merci Elune de m'avoir libérée."